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Dix années de réflexions et…  Une reprise impossible

Fille d’éleveurs de Blancs-Bleus (BB) et titulaire d’un graduat en agronomie, Isabelle a muri son projet d’installation durant plus de 10 ans avant d’oser se lancer en 1994.

Durant cette décennie, l’éleveuse a occupé plusieurs fonctions dans différents milieux. Ces emplois avaient, cependant, un trait commun : ils étaient en lien avec le milieu agricole.

J’ai travaillé au Ministère de l’Agriculture : les primes “bovin mâle”. Et puis, j’ai travaillé pour Agra-magazine. (…) Et puis après, j’étais au Crédit Agricole, ici, à Paliseul, banque assurance et syndicat agricole. C’était pas mal pour faire un réseau, pour savoir comment on s’installe, pour comprendre un crédit et tout ça.

Ce qui a poussé Isabelle à changer d’orientation professionnelle ? Une transformation de l’organisation bancaire.  Du jour au lendemain, on devait être indépendant ! Alors, indépendant pour indépendant, je me suis lancée, explique-t-elle. Isabelle espère alors travailler dans la ferme familiale.

Malheureusement, ses parents ne peuvent donner suite à son projet au motif, notamment, de la lourdeur des crédits investis dans leur exploitation.

Cette déconvenue pousse Isabelle à créer sa propre ferme. Même si elle reconnait qu’elle a alors « crâné grave », ce fut finalement rude. Cela lui a permis de réfléchir la pratique de l‘élevage en dehors des contraintes de la reprise d’une ferme familiale, tout en conservant son inscription territoriale qui lui est chère. Non seulement l’éleveuse s’est détachée du modèle agricole parental, mais elle a également tiré profit de ses expériences professionnelles « de l’envers du décor » du monde agricole : celui de l’image médiatique, celui de la banque, celui de l’administration.

Je savais ce que je ne voulais pas

Dans tous les cas, ce qu’Isabelle retient de ses différentes expériences professionnelles :  ça m’a dit où je ne voulais pas aller, pas où je voulais aller. Isabelle ne voulait ni « faire téter les veaux » ni du « vertige du surendettement ». Sa ferme serait donc à la fois basée sur les prairies permanentes et modeste tout en étant rentable.

Pour décrire son système, l’éleveuse se réfère à ses souvenirs d’enfance.

Ce que je ne voulais pas, c’est faire « téter les veaux ».  Ma mère, son métier, c'était de prendre la tête du veau, de la mettre sous le pis, de tenir la bouche du veau, les pattes du veau, le veau, le pis, tout en même temps avec deux mains. Elle passait ses matins et soirs à faire ça. Donc, c'est ce qu'on appelait « faire téter les veaux ». (…) Je n'ai pas l'intention de faire téter les veaux, ils vont téter tout seul !

Si le passé à la ferme parentale sert de contre-exemple à l’élevage d’Isabelle, il l’inspire également. Ainsi, elle se souvient aussi de « la blonde du voisin ».

J'ai vu des blondes d'Aquitaine pour la première fois quand j'avais 10 ans et je me suis dit un jour, si j'ai des vaches, ce sera des blondes d'Aquitaine. Après le chemin, il est un peu plus compliqué que ça !

Isabelle Martin génisses prairie

Les valeurs intrinsèques d’Isabelle et de sa ferme

Son ancrage territorial et la sauvegarde des prairies permanentes

Le choix de race des bovins n’a pas été guidé par sa conversion au bio. Il a été raisonné autrement : les animaux ne sont pas une fin en soi pour Isabelle. L’élevage n’est pas le cœur de son métier. Si c’est autour du soin des animaux qu’une grande partie des routines quotidiennes d’Isabelle est organisée, ce n’est pas là qu’elle puise le sens de ce qu’elle fait au jour le jour. Sa motivation, sa légitimité est ailleurs ! Son installation repose sur son ancrage territorial et donc sur la nature du milieu ardennais et « ce qui y pousse naturellement ».

On a basé toute la ferme sur les prairies permanentes parce que c’est le milieu qui existe ici en Ardenne. Je suis basée en Ardenne et j'ai donc envie de vivre en Ardenne, entre la forêt et les prairies. Moi, je ne suis pas agent forestier et donc naturellement j'ai été vers les prairies permanentes. (…) On s'est organisé pour que les prairies permanentes participent à l'autonomie fourragère de la ferme, donc nourrissent, en fait, la ferme. Et qui peut se contenter d'herbes et de foin ? Les herbivores. 

L’élevage n’est pas l’objectif premier des actes d’Isabelle ; son moteur réside dans son attachement profond au territoire qu’elle habite et qui l’habite. Cet espace ardennais singulier et ancré en elle trouve sa matérialisation la plus significative dans ce qu’Isabelle dénomme la « valeur patrimoniale des prairies ». Ce sera là son combat : défendre les prairies permanentes et recourir à l’élevage pour les préserver. Ainsi, le choix de la race n’est pas seulement un souvenir mais également un raisonnement identitaire et éthique, voir même politique.

On rencontre la problématique de la biodiversité et de l’intégration de la ferme dans l’écologie. La prairie permanente, c’est un écosystème à part entière. On l’oublie un peu trop. Ça me désole de voir labourer des prairies permanentes. Je pense que ça aura été le combat de toute ma vie. Mais c’est difficile à faire comprendre parce que la prairie permanente, elle ne rapporte pas d’argent. (…) Après on se demande pourquoi il n’y a plus de biodiversité, c’est aussi simple que ça. Sauf que les choses évoluent. Il y a 10 ans, on disait « biodiversité », les gens ne comprenaient pas. Maintenant, les gens comprennent plus ou moins.

Isabelle parcelle castor

En ce sens, aux yeux d’Isabelle, le troupeau fournit de la viande mais surtout des services écosystémiques : en broutant, il permet l’entretien et la valorisation des prairies permanentes. De ce fait, les vaches d’Isabelle contribuent au maintien de la biodiversité. Par sa réflexion systémique et sa mise en pratique, Isabelle déclare inscrire sa ferme dans la transition agroécologique et participer à la préservation d’un patrimoine à « valeur naturelle et historique ».

Son modèle économique : une ferme modeste et un plan B disponible à chaque instant

Outre les multiples valeurs qu’Isabelle met en avant pour dire son activité et sa ferme, il n’en demeure pas moins qu’elle en attend également un revenu économique cadré par la modestie de la ferme. Qu’est-ce qu’une ferme modeste ?

Quand on a commencé, il fallait que la ferme soit modeste. Peut-être qu'une ferme moins modeste est aussi rentable, j'en ai aucune idée. Et moi, je voulais toujours avoir un plan B. On a toujours eu un plan B qui pouvait s’arrêter séance tenante. Ne pas s'enferrer, ne pas se mettre la corde au cou, sans mauvais jeu de mots, c'est vraiment ça. Donc il fallait que ce soit maîtrisable, que les coûts soient maîtrisables etc. Donc la ferme ne pouvait pas être grosse dès le départ et, de toute façon, on n’aurait pas su puisque l'accès à la terre … L'accès à la terre, c’était pareil il y a 30 ans, c'était hyper compliqué. C'est toujours les grosses structures qui se servent les premières. Et quand on commence, on peut être enfant d'agriculteur, on n’est quand même pas du sérail : on ne sait pas les choses qui se passent, on ne sait pas les ventes de terre etc.

L’éleveuse a tiré une leçon majeure de son expérience au Crédit agricole : ne pas prendre l’argent du ménage pour la ferme pour ne pas déstabiliser la famille.

Le raisonnement économique d’Isabelle s’inscrit en outre dans un contexte particulier, celui de la tradition du Blanc bleu. Cette race bovine avait imprégné son enfance, faisait - et fait encore - référence et sert toujours de standard tant dans les pratiques d’élevage que dans l’aval de la filière. Isabelle reconnait qu’elle aurait pu aussi choisir d’élever des moutons, des chèvres ou d’autres races connues à l’époque, en 1994.

Quand on a réfléchi à la race, c'était celle (la Blonde d’Aquitaine) qui était la plus à même de s'inscrire dans la filière viande du moment. C'est celle, entre guillemets, au niveau type de viande qui se rapproche de la blanc bleu en tout cas pour plaire à un marchand de vache. Bien que les six premières années cela ne plaisait à personne!

Comme déjà dit, les vaches sont un moyen de préserver les prairies, le paysage, la biodiversité mais elles transforment également l’herbe broutée en protéine dont Isabelle tire un revenu selon le contexte et selon différents leviers. Elle vend des animaux maigres ou gras à des stades différents en fonction de la demande du marché. Bien qu’à la recherche du juste prix nécessitant un vigilant suivi par pesée de ses animaux, bien qu’inscrite dans Cowbio, un collectif de 12 éleveurs désireux de valoriser la viande bovine bio en circuit court, Isabelle insiste : ce qui fait sens c’est la prairie.

cowbio logo

Parce que ça fait partie de la charte de Cowbio. Il faut être en prairie permanente, faut pas de maïs ou pas de soja, faut pas d'OGM. Voilà, ils sont tous d'accord. Mais la communication autour de la prairie permanente, la valeur de la prairie permanente, le pourquoi de la prairie permanente qu'il faut la maintenir enfin, en tout cas, mon point de vue qu'il faut la maintenir pour la biodiversité, pour les paysages et que c'est ça le cœur. C’est pas juste vendre de la viande.

Isabelle est en tension entre les multiples valeurs attribuées selon les points de vue aux différents éléments constitutifs de sa ferme. Si la valeur écologique et identitaire qu’elle confère aux prairies est déclarée inaudible ou non pragmatique au regard de la nécessité de la rentabilité de l’élevage, Isabelle doit également faire face à d’autres critiques concernant son modèle économique tirant parti des mesures agroenvironnementales soutenant les prairies à haute valeur biologique par exemple.

Enfin moi, l'optimisation PAC ça fait partie de ma réflexion. Ça existe ! Ça existe, on y pense, on réfléchit, on se pose la question. Mais de là à dire qu'on s'est installé uniquement pour avoir des primes bio et agri-environnementales, pas du tout ! Non, la ferme, elle ne s’est pas construite comme ça.

Qui plus est, Isabelle estime que ces primes ne se limitent pas à sa seule ferme. En préservant les paysages et la biodiversité, elles bénéficient à l’attrait touristique de la région ardennaise et à l’économie locale générée grâce aux visiteurs.

Une formation de Guide Nature en soutien à ses convictions

Pour soutenir et étayer son point de vue et son discours sur la richesse des prairies permanentes biodiversifiées contribuant au maintien des paysages ardennais hérités des générations passées, Isabelle s’appuie sur une formation de guide nature. Cette formation est, selon elle, centrale : Je pense que c'est la meilleure chose que j'ai faite dans ma vie, c'est cette formation-là, insiste-t-elle.

Grâce à ce programme suivi durant ses années d’installation, l’éleveuse a pu mettre des mots précis sur l’environnement dans lequel elle évolue et ainsi en comprendre ses ressors et valeurs.Elle a pu, dit-elle, relier les choses entre elles. Avant, je disais “oui, mais ici, on a toujours fait des prairies permanentes” mais, c'est trop court. (…) J'ai appris que les prairies permanentes étaient biodiversifiées, qu’il y avait plein d'espèces végétales indigènes, donc aptes à accueillir plein d'espèces animales. J’ai appris ce que c’est qu’un écosystème. Elle s’est ainsi vue confortée dans ses choix qu’elle admet avoir fait “sans connaissances véritables” et ses principes.

La concrétisation

Les freins de l’extérieur

Si le système d’Isabelle semble très cohérent aujourd’hui et est présenté de façon structurée, sa mise en place « n’a pas été une mince affaire ».

En ‘94, quand j'ai dit que j'allais m'installer déjà, ça n'a pas été la fiesta. Et puis quand j'ai dit avec des blondes d'Aquitaine, houla je crois que c’était le summum là.

L’éleveuse décrit ses six premières années comme un vrai challenge.

La mise en place a été compliquée, mais je n’ai pas changé d'avis pour autant. On a mis beaucoup, beaucoup de temps pour se décider à franchir le cap. Et puis après, les six premières années, c'était une galère sans nom, d'où le choix qu’il n’y ai qu’un de nous deux qui soit à la ferme, et un des deux soit salarié. Ça, c'était non négociable, de nouveau pour pouvoir fermer boutique. Mais pendant six ans, je vous promets que ça n'allait pas quoi. Ça ne fonctionnait pas. On n'avait pas assez d’entrées, on n’avait pas beaucoup de connaissances, on n'arrivait pas à trouver les terrains. Et puis on n'avait pas la routine, donc c'était un travail 8h par jour. La première année, on n’avait pas le tracteur. Je nettoyais à la main. Je commençais à 8h du matin et je terminais à midi de nettoyer à la main et je faisais ça tous les jours. J'avais les bras qui traînaient jusqu'à terre mais on avait l'énergie de la jeunesse. On ne voulait pas dépenser trop d'argent et on n'a pas trop dépensé. Est-ce qu'on peut encore s'installer comme ça ? J'en ai aucune idée hein, donc ce n’est sûrement pas un modèle reproductible mais voilà, ça s'est fait comme ça. 

Même si elle a grandi à la ferme et se souvient avoir participé aux petits ballots, même si elle détenait un diplôme en agronomie et une expérience professionnelle au contact de l’agriculture, Isabelle insiste : elle a du tout apprendre sur le tas.

Durant les neuf premières années, elle a également été confrontée à trois crises : la vache folle, la dioxine et l’ouverture des frontières à l’Est, qui ont perturbé sa mise en route en impactant l’image du métier et en dérégulant le marché de la viande bovine. Non seulement les Blondes d’Aquitaine valaient moins que le blanc bleu mais, le secteur se montrait également réticent à s’adapter à cette nouveauté.

Les races françaises, ils ont reçu ça comme une gifle. En fait, j'ai compris ça très très tard, il y a comme un effet miroir. C'est comme si on leur renvoyait leur reflet. C'est le fait d'avoir une autre race, c’était déconsidérer la race présente. Je n'ai rien à déconsidérer, j'ai juste envie de faire mon chemin, c'est tout. (…) Disons que maintenant, l’effet autre race commence à s'estomper surtout en province du Luxembourg. Si, dans le milieu non professionnel je ne dis pas que je suis éleveur, dans le milieu professionnel, je ne dis pas que je suis bio.

Les soutiens au projet

Heureusement, Isabelle a pu compter sur le soutien de son époux. Elle a également reçu l’aide des voisins qui ont participé au chantier de construction des étables derrière la maison. Elle a bénéficié des conseils de ses anciens collègues pour le suivi administratif de sa ferme. L’éleveuse précise également que deux personnes ont été d’un immense secours pendant ces années de galère et par la suite également : son marchand de bêtes et son vétérinaire. Dans le premier cas, c’est suite à un appel téléphonique passé à l’abattoir pour savoir s’il prenait en charge la race de ses bovins qu’Isabelle a obtenu le contact du marchand de bétail qui est encore le sien aujourd’hui « car il a toujours été correct et a toujours payé à temps ».

Isabelle aides

Dans le second cas, Isabelle a fait appel à une connaissance.

Donc on a été le trouver, on lui a dit : « tu voudrais bien être le véto de notre ferme et tout, mais on ne fera pas beaucoup de césariennes ? ». Il a dit : « Je n’ai pas fait disons 9 ans d'études pour faire des césariennes à la chaîne. Je viendrai chez toi ». Et puis hop, et il nous a aidés en fait. Oui, franchement, parce qu’au niveau technique d'élevage, on n’en touchait pas une. Ce n’est pas parce que tu passes les grandes vacances à rentrer aux petites bottes avec tes parents que tu connais leur ferme. Donc on n'en touchait pas une. Ah oui, il nous a aidés, nous a aidés à faire nos premiers vêlages naturels. Ce n’est pas donné au premier venu !

Isabelle se souvient également que ce vétérinaire l’a aidée à faire le suivi du troupeau. Il l’a également motivée à tenir face à l’adversité.

On a acheté des bêtes partout, à droite et à gauche, mais du grand n'importe quoi. On le dit toujours, faire un troupeau, il faut 15 ans pour stabiliser le troupeau. Tu as toutes les maladies de tout le monde, tu ramènes les microbes des étables. Elles ne sont pas forcément malades là-bas. Mais quand tu ramènes tout le monde, tout le monde devient malade quoi. Enfin bon donc là aussi, c'était sans nom. Donc il (le vétérinaire) a fait toutes les prophylaxies tout ce qu'il fallait faire. 

Le cap des 6 ans et les changements de regards de la société et du marché

Et puis la 6e année, je lui dis : « Bon, on va arrêter ! Moi j'en ai ras le bol, ça m'énerve et ça ne va pas ! » Et puis il m’a grondée réellement. Il a dit : « Vous avez commencé quelque chose et vous avez bien vu et tu verras que ça ira et que c'est ça qu'il fallait faire. » (…) Et puis, je ne sais pas ce qui s'est passé, les blondes d'Aquitaine, comme la prairie, voilà sans rien changer, ça a pris de la valeur. Donc la prairie drôle est devenue bien et les vaches drôles sont devenues bien.

Isabelle arrêter la ferme

En effet, pour l’éleveuse, ni elle ni son système n’ont changé. C’est le contexte, le regard porté par la société sur les races et sur les prairies qui s’est transformé. Cela lui permet, aujourd’hui, de vivre des valeurs plurielles portées par sa ferme et le travail en son sein. Si une “bonne prairie” était autrefois ainsi qualifiée sur base de “meilleure” valeur alimentaire des plantes la composant, actuellement, une “belle prairie” est jugée selon la variété des plantes indigènes et “sauvages” qui la composent.

On nous a appris à cultiver les prairies. Les prairies qu’on a là maintenant, si je les avais montrées quand j’avais 19 ans à l’école, ils se seraient foutus de notre gueule. Les prairies, elles devaient être mono-espèce, uniformes, rien qui déborde, rien qui dépasse, pas un chardon, pas un rumex, pas une fleur. (…) Il y a 25 espèces là maintenant dans une prairie, ce n’était pas les espèces agricoles. Mais elles ont une valeur alimentaire même si c’est probablement “moins bon” mais seulement si on regarde le pourcentage de protéines et des , les minéraux, les oligo, tout ça. (…) Toutes les petites plantes “pas intéressantes”, ça apporte de la couleur, du goût, du ceci et du cela, du lait jusqu’au fromage. Après de le prouver ou pas en viande, je ne sais pas si ça a un intérêt mais au moins pour la santé de l'animal quoi. Je pense que c'est un peu comme nous : on mange diversifié. (…) C’est une somme folle de plantes mais effectivement, elles n’ont pas la valeur alimentaire d’un fourrage optimal je suppose. Mais par contre, en hiver, l’odeur du foin, c’est... Moi je dis qu’une bonne ration c’est quand ça sent bon.

L’agroécologie au service de la préservation de son environnement

Sur base de l’inscription respectueuse de la ferme dans son milieu, Isabelle qualifie ses pratiques d’agroécologiques.

L’agroécologie, c'est l'agriculture qui respecte et l'agronomie et l'environnement. L'agronomie, c'est travailler selon les conditions pédoclimatiques locales, c'est un peu théorique, c'est faire avec ce qui pousse dans sa propre région, (…) faire des cultures locales et pérennes.

Participer à la pérennité des prairies ardennaises constitutives de ses racines afin de préserver la biodiversité pour les prochaines générations, voilà ce qui donne du sens au métier d’Isabelle. Elle est telle un trait d’union herbager entre des temps éloignés.

L'agroécologie schématisée par Isabelle : un écosystème résilient ancré dans son territoire

Je crois que d’une façon agronomique, on dit polycultures et élevage en fonction des conditions pédoclimatiques locales. On en revient au début du début : en Ardenne on fait plutôt comme ceci, en Famenne on fera plutôt comme cela et en Hesbaye on fait encore autrement.

De la valeur patrimoniale des prairies à la défense de la souveraineté alimentaire

L'INRAE soutient (dans un article) que les prairies ont une valeur patrimoniale parce qu’elles viennent d'une façon ancestrale d'avoir travaillé. C'est grâce à cette façon ancestrale qu'on a autant d'espèces de plantes indigènes et aussi d’insectes et de pollinisateurs. Et donc c'est parce que les anciens ont vécu comme ça avec leurs prairies et donc les prairies d'ici ne sont pas les mêmes que là-bas et elles seront toutes différentes d'un endroit à un autre, en fonction de la façon dont on a travaillé et elles ont aussi modelé le paysage.

Ce modèle hérité du passé s’avère adaptatif dans l’espace et le temps. Cette façon d’inscrire son système d’élevage dans le milieu particulier qui l’entoure et dont il dépend, c’est sa manière de l’habiter. C’est se trouver inscrit dans un lieu. C’est être autochtone.

On est tous des peuples autochtones. Enfin, je veux dire, on ne nous remet jamais, nous, à notre condition de peuple autochtone. On est un peuple autochtone, c’est bien le truc des racines dont je parlais. Les anciens ont fait comme ceci, et ce n’est pas pour ça que ça ne doit pas évoluer, mais il y avait bien une raison. Il faut la comprendre, il faut la connaître et en tirer profit et peut-être avec des moyens plus modernes. Continuer.

Echo du passé, ces systèmes inscrits dans leurs milieux respectifs sont les dépositaires matériels du travail des générations antérieures. Il s’agit alors de comprendre ces systèmes afin de ne pas voir disparaitre ces paysages notamment ardennais. A cette fin, les pratiques agricoles dont celles herbagères visant l’autonomie s’enrichissent des nouvelles techniques. Il ne s’agit donc pas, selon Isabelle, de pratiquer l’agriculture « parce que c’est comme ça que cela ne se faisait avant » pas plus qu’il ne s’agit de défendre la voie du nationalisme et du repli sur ces espaces. Il s’agit, pour elle, de prôner la souveraineté alimentaire et le droit de choisir ce que l’on cultive et comment on le cultive dans le respect du milieu paysagé habité.

Donc en fait ce n’est pas du nationalisme. Parce qu'en fait c'est ça le problème de la souveraineté alimentaire, c'est que maintenant c'est repris par les nationalistes. (…) Le patrimoine, la force patrimoniale, c'est de partir d'un patrimoine et de la souveraineté alimentaire, c'est un patrimoine et c'est un droit aussi.Donc si, dans une communauté, on pense que se nourrir avec des prairies permanentes ; c'est possible et c'est bien et c'est possible et ça a été possible. Enfin, l'histoire nous l'apprend, (…) c'est bien parce qu'on a eu des herbivores qu'on en est là où on en est. Et donc moi ça m'énerve que des gens qui ont du surplomb viennent nous dire comment on devrait faire de l’agriculture maintenant (…) On a un droit. Nous aussi on est un peuple autochtone chacun dans son territoire. Le territoire, ce n'est pas justement du nationalisme et ce n'est pas un truc hermétique.

Une soif de connaissances intarissable

Isabelle enrichit continuellement, par de multiples lectures et conférences, ses connaissances relatives à l’écosystème prairial, à la préservation de la biodiversité et à la façon dont la transition agroécologique peut y participer concrètement. Elle tend à maitriser un vocabulaire qui lui échappe afin de pouvoir construire son argumentaire et ainsi “ se sentir droite dans ses bottes” pour “faire face” à ses détracteurs.

Isabelle biodiversité

En effet, Isabelle se sent mise en difficulté car elle doit à la fois répondre à ses pairs inscrits dans un modèle agricole conventionnel et à des citoyens très critiques à l’égard de l’élevage à fortiori de l’élevage viandeux. Les premiers considèrent que la prairie permanente “ne paie pas”. Isabelle défend alors la valeur de la nature par-delà le rendement d’une parcelle. Par ailleurs, ces pairs imputent la responsabilité de la dérégulation des marchés ou l’agri-bashing aux agriculteurs bio “qui se font laver la figure”. Isabelle veut pouvoir dire que “c’est faux” et surtout pourquoi elle ne partage pas cette opinion. Les seconds se sentiraient autorisés et légitimes pour juger son travail sans disposer d’une formation adéquate.

Avec les réseaux sociaux, tout le monde s'est cru autorisé à avoir un avis sur l'agriculture et tout le monde est devenu ingénieur agronome comme d'un coup de baguette magique. Je trouvais ça assez hallucinant. Et donc je lisais que des choses... On entend que des choses vilaines, tout le temps, et fausses. Je dis, mais ce n'est pas possible ce genre de choses et donc j'ai dû prendre en arrière. Il a fallu que je sache c'est quoi la biodiversité. Il a fallu que je comprenne. Il a fallu que j'aille voir pourquoi on dit « à cause de l'agriculture ». Non ! Quelle agriculture, quel mode d'agriculture ? Puisque tout le monde a un avis sur mon métier, je me suis sentie autorisée à avoir mon propre avis et à aller leur répondre à tous, et donc je pense que, en fait, ils ont forgé mon répondant. Je pense que les réponses doivent se faire avec des arguments pas avec des sophismes à deux balles et donc il a fallu que je que je gratte la question (…). C'est comme la boîte de Pandore, plus tu ouvres, plus tu as une réponse plus il faut encore gratter et puis il faut encore creuser et donc je crois que c'est un puits sans fond et ce n’est pas désagréable parce qu'en fait je me sens maintenant au taquet pour pouvoir répondre à ces gens qui sont toujours en train de nous saper le moral.

Paysanne en quête de reconnaissance

Cet apprentissage à la fois formel et autodidacte renforce la position d’Isabelle tant dans ses choix agronomiques que dans le sens qu’elle construit et attribue à sa pratique. Lorsqu'on lui demande de qualifier son métier aujourd’hui, Isabelle répond sans hésiter :

Alors déjà je commence et je choisis le terme : moi, je suis paysanne. Ça, c'est clair ! Et pays, paysans, paysages, donc ça, je l'ajoute. Je travaille la question depuis longtemps et je le redis :  c'est chouette, ici, en Ardennes mais c'est grâce aux éleveurs !

Isabelle prairie

Et pourtant, la paysanne se cache aussi. Quand je vais dans un milieu non agricole, je ne parle pas de ma profession. Je dis “Je n’ai pas de métier”. Je ne parle pas. Quand c'est avec des personnes qui ne sont pas du milieu, je ne parle pas de mon métier. (…) Donc tu ne dis rien du tout, tu t'effaces, ce qui n’est pas normal ...

Pour ne pas se sentir honteuse de son métier et parce qu’elle est en attente d’une plus forte reconnaissance de la société à l’égard des biens et des services multiples offerts par les paysans, Isabelle mobilise ses connaissances et les partage grâce à des tours de prairies organisés avec des associations pour les curieux de tout poil. Elle est convaincue que c’est par la communication que le lien fragilisé entre le monde agricole pourtant en transition (au moins en partie) et les citoyens pourra se reconsolider. C’est par la monstration concrète des actions et de ce qu’elles permettent de matérialiser, de leurs effets mais aussi du raisonnement qui les sous-tend que la vision idéalisée et romantique du monde champêtre ou, au contraire, le carcan productiviste et moderniste de l’agriculture conventionnelle pourront être dépassés. La finalité est de montrer l’adéquation de son système et, plus largement des pratiques agroécologiques, avec les enjeux contemporains du changement climatique, avec les attentes de la société et avec les besoins que réclame le leg du patrimoine paysager aux générations futures.

Le but c’est de reconnecter le citoyen avec l’agriculture et que ce groupe (Terraé) ait une visibilité, qu'il vive. (…) Ce que j'aimerais, c'est que justement faire partie d'un réseau pour qu’il y ait une masse et pour qu'on parle enfin des pratiques et cetera. Et enfin, évidemment, si on n'a que des prairies, ça veut dire qu'on a que de la viande. Et vis-à-vis des (personnes) anti élevages, il y a un moment donné où il va falloir se positionner et donc moi j'ai besoin d'être reconnue entre guillemets. Je ne sais pas comment expliquer. Moi j'ai besoin de cette reconnaissance. Voilà parce qu’il y a des choses que je ne peux plus entendre.

A une forme de domination économique dont Isabelle s’échappe grâce à la modestie de son système, l’éleveuse est donc également confrontée à une double domination symbolique : les critiques de sa pratique proviennent tant de l’intérieur que de l’extérieur du monde agricole. Elle est affectée par les valeurs que portent certains de ses pairs et par l’image sociale imputée à son groupe professionnel. Montrer son système, dévoiler sa logique permet, selon Isabelle, de défendre une autre image de l’agriculture, de son rôle sociétal et de sa contribution au maintien des milieux. Cette visibilité et la mise en récit de son système a également un autre objectif : faire lien avec la jeune génération des (futurs) agriculteurs.

Et demain ?

Comment Isabelle envisage-t-elle sa ferme et sa vie demain ? Penser la transmission tracasse Isabelle. De longue date, elle anticipe la possibilité de ne pas disposer d’une retraite. Ignorer le montant de celle-ci constitue une source de stress continue. Elle envisage dès lors différentes voies pour son avenir et celui de sa ferme.

Isabelle Martin futur

Elle imagine tout d’abord de s’inscrire dans un modèle de petite exploitation qui pourrait, selon elle, se développer pour parer à l’absence de pension.

Depuis que je suis née, je ne suis pas persuadée qu’on aura une retraite et donc s’il n’y a pas de transmission alors il y aura la ferme. Enfin il y aura deux petits vieux avec deux moutons, quatre vaches et trois lapins.

Un autre scénario est également possible, ainsi qu’Isabelle l’exprime : celui de la transmission de sa ferme. Selon elle, cette transmission devrait être facilitée par la modestie de l’outil et l’image positive qu’elle construit autour du lien entre élevage et paysage. Sa forme et son sens en font “une ferme sympa”.

Cependant, le mise en cause de l’élevage dans la société et la mauvaise presse faite au métier peuvent freiner l’engouement d’un jeune repreneur. L'enjeu de la communication pour défendre le système herbager et la recherche de reconnaissance que réclame l’éleveuse sont, ici encore, d’importance.  Isabelle s’interroge sur la faisabilité d’une reprise potentiellement dérangée par le fait qu’elle ne soit pas propriétaire de toutes ses terres. D’une part, l’accès à la terre est un problème de longue date qui se pose de façon encore plus accrue aujourd’hui mais s’enracine dans une histoire longue. D’autre part, et ce pourrait être un effet du problème foncier, la jeune génération serait, selon Isabelle, en recherche de superficie et non d’un outil à reprendre. Les candidats à la reprise chercheraient un espace où créer leur propre projet et non un lieu déjà inscrit dans une direction.  Ce nouveau projet de ferme serait indépendant du sens et de la direction insufflée par l’occupant précédent de l’espace.

Or, selon la paysanne, en s’inscrivant en continuité avec les valeurs portées par la ferme préexistante, les nouveaux protagonistes pourraient apporter leur touche et leur réflexion, participer au lieu, inscrire leurs idées dans l’histoire longue de la région et celle plus courte de la ferme. Elle illustre son propos à l’aide d’un témoignage vécu lors d’un café transmission auquel elle a récemment participé. Pour Isabelle, le schéma de reprise de ferme exposé lors de cette réunion s’apparentait bien plus à céder une surface à exploiter qu’à transmettre une ferme, un savoir-faire et un savoir-être. Transmettre c’est aussi léguer et recevoir une part d’identité que comporte le sens du métier construit avec le système, le sens du temps consacré aux gestes quotidiens et au projet qui les sous-tend. Transmettre n’est pas céder une boite vide de sens, c’est faire lien dans le temps et dans l’espace entre les générations et avec son milieu.

Mais, moi, en tant que cédant, moi ce que je veux céder, c’est l’outil, c’est ce qu’on a fait. Ça me ferait mal au ventre qu’il n’y ai plus justement les mesures agroenvironnementales. Ça me ferait vraiment mal au ventre. Oui, après, il est normal qu’un jeune s’installe avec son projet.

Cet héritage n’est donc pas non plus conçu par Isabelle comme une forme qui détermine l’avenir : il est une trace formée par le milieu qui reste et change tout à la fois au gré des projets des fermiers à venir.

Les cédants, ce qu’on veut c’est transmettre l’outil. Nous, on ne veut pas transmettre les hectares. Ce qu’on veut, c’est transmettre l’outil. On a créé quelque chose et on veut qu’il continue. Que le repreneur l’adapte, il n’y a pas de soucis. Mais donc je n’ai pas compris les futurs (repreneurs) ne nous ont pas demandé à venir faire le tour (de la ferme), voir si ça leur plait. Ce qu’ils voulaient c’était de la superficie.

Céder, c’est perdre le lien, l’héritage du passé inscrit dans la matérialité mais aussi les savoir-faire et les connaissances en se centrant uniquement sur une dimension économique, administrative du leg et sur une vision instrumentale ou fonctionnaliste de la ferme.  

Je n’ai pas non plus suivi le schéma qui était classique mais j’ai quand même toujours pensé aux anciens : comment on faisait, qu’est-ce qu’ils faisaient, qu’est-ce qu’on doit faire ? Même me questionner même si je n’élève pas des Blancs Bleus, j’ai quand même demandé aux éleveurs “mais vous faites quoi ? En élevage, comment on regarde les bêtes ? C’est quand les chaleurs ?” La première fois, je ne savais même pas c’était quoi une vache en chaleur.

Le lien au passé, le respect des pratiques des générations précédentes n’est pas antinomique, selon Isabelle, du changement nécessaire, des adaptations à apporter, des nouveautés à introduire. Le passé n’est pas inamovible même s’il est respecté. Elle n’oppose pas continuité et rupture mais les conjugue. Pratiquer l’agroécologie n’est pas du passéisme mais, comme l’explique l’éleveuse, une combinaison de savoirs anciens (comme prendre la température pour suivre les vêlages) et de techniques modernes (comme le smartphone pour suivre les températures). Qui plus est, certains modèles agricoles préexistants ne lui ont-ils pas aussi servis de contre-exemple pour construire son système ?

Malgré tout l’amour que j’ai pour la ferme et pour le métier, je n’aurais pas fait la ferme si on était toujours aux petits ballots. J’ai été aux petits ballots toute mon enfance, toutes mes vacances. C’est épuisant ! Faire des boules, ça n’a plus rien à voir.  Et quand je lis les publications sur FB, deux trois personnes en train de taper aux bottes, ... « Dans mon enfance que c’était gai ». Mais non, ce n’est pas gai du tout ! On est dans l’urgence. C’est un travail pénible ! Donc l’agroécologie n’est pas un retour en arrière. Sûrement pas.

Isabelle est donc prête à accueillir la jeune génération pour peu qu’elle entende ses désirs. Elle évoque ainsi la possibilité de participer à un collectif d’agriculteurs. Bien que ces projets soient portés par des jeunes, explique-t-elle, ce pourrait être une opportunité pour chacun d’ouvrir le groupe et d’y intégrer une dimension intergénérationnelle. Isabelle ne se voit pas quitter le milieu habité. Elle ne se sent pas du tout prête à être « déracinée ». « Qu’est-ce qu’on devient nous ? » demande-t-elle.

Moi je pense que si on veut installer il faut sortir. Enfin, il faut sortir dignement pour installer dignement. Et si on n’arrive pas à coordonner quelque chose dans ce goût-là, je ne vois pas vraiment comment partir. Et si on arrive à goupiller bien des choses, je me vois mal quitter l’endroit. Donc lâcher la bride, ça ne va pas être facile et au niveau du travail j'aimerais bien pouvoir un peu partir et ne pas être pendue aux crochets. Mais s'ils ne gèrent pas la prairie comme moi, je la gère ? Je ne vois pas trop. Je ne vais pas me sentir bien. Voilà, ça doit mûrir encore tout ça. Et après ça vaut la peine de savoir quels sont les attentes des jeunes en face. Donc si moi j’ai mes attentes et qu’effectivement, elles ne correspondent pas aux autres, peut-être qu’il va falloir que je révise mes attentes.

Aux heures sombres, un dernier scénario trotte parfois dans la tête de la paysanne :

Voilà comment j'imagine ma ferme à l'avenir. Ça va un peu dans tous les sens. Ça dépend des jours, ça dépend des moments. Quand il y a une saleté à la télé, j'ai envie de tout foutre en l'air et de mettre la clé sous le paillasson. C’est les montagnes russes.

Les trucs et astuces d’Isabelle

Une ferme construite « avec des bouts de ficelles »

Isabelle a imaginé sa ferme durant plusieurs années. “On ne savait pas comment fonctionner. C’est peut-être pour ça que tout est un peu tenu à bouts de ficelles, parce qu’on a créé les choses. On a vu un truc puis cela a décanté dans notre tête”.

Il était clair dès la phase d’auto-construction de la première étable (voir photo) que celle-ci serait en stabulation libre[1] et équipée d’un cornadis autobloquant[2].

Isabelle étable 1
Isabelle étable 2

La configuration de l’étable est inspirée de nombreuses visites effectuées par l’éleveuse depuis sa jeunesse et de conseils reçus de ses voisins éleveurs de bovins. Cette disposition cadre l’organisation du travail de nettoyage et de paillage des boxes ainsi que le confort de vie des animaux.

  • Une pente à 6% du sol bétonné permet à Isabelle de ne jamais enlever le fumier à l’arrière des boxes. Avec la chaleur et le poids des animaux, le fumier glisse par lui-même vers le couloir de raclage, qui est nettoyé une fois par semaine.
  • Les ballots de paille sont placés en hauteur sur les hourdis une fois par semaine. Chaque jour, l’éleveuse peut alors lancer la paille dans le fond des boxes sans recourir à un engin agricole. Ce paillage manuel limite l’usage des véhicules agricoles et facilite le travail manuel.
  • A contrario de l’emplacement classique des abreuvoirs dans les boxes, Isabelle a fait placer les siens à l’avant, près des auges. Elle peut ainsi très facilement y accéder depuis le couloir, sans entrer dans un boxe, et les nettoyer dès que cela s’avère nécessaire.

Un élément a varié pour la construction des autres étables quelques années après la première.  Si la première construction est en “front fermé” avec une ventilation vers le faîte ouvert, l’éleveuse a opté pour un “front ouvert, mieux pour les animaux sauf pour les vêlages” par la suite.

Isabelle doit également ruser avec le dispositif. En effet, elle constate que le matériel agricole est pensé à hauteur d’homme et non de femme. Elle s’est ainsi dotée d’une allonge qui facilite la manipulation du cornadis. Il faut des petites astuces quand on est une femme en agriculture. Le marchepied des engins agricoles est 10 cm trop haut. Une fois ça va mais quand c’est répétitif, les gestes demandent des efforts. Pourquoi est-ce que je dois soulever un capot plus haut que moi ou lieu de pouvoir l’ouvrir en deux ?


La technologie pour diminuer la pénibilité du travail, même en agroécologie

En agroécologie, on n’est pas technophobes ! déclare l’éleveuse. Ainsi, sous l’impulsion de son mari, l’étable a été équipée de caméras de surveillance permettant de veiller le bon déroulé des vêlages sans devoir être présente dans l’étable. En parallèle, un dispositif de détection des vêlages est utilisé. Celui-ci suit les courbes de température des vaches quelques jours avant leur vêlage, et permet ainsi de lever une astreinte quotidienne pour l’éleveuse. Auparavant, tous les soirs en période de vêlage, Isabelle devait attacher toutes ses bêtes pour prendre la température des animaux à suivre. Aujourd’hui, elle place ce dispositif sur les vaches, il tombe quelques heures avant le vêlage, envoyant alors une alerte sur son téléphone portable.

Ce dispositif a récemment révélé un atout supplémentaire. S'il permet aux éleveurs de pouvoir “aller souper sereinement chez des amis sans devoir les quitter dès l’apéro”, il est aussi un outil de communication du quotidien du métier. Ainsi, alors qu’elle surveillait un vêlage à distance grâce à la vidéosurveillance accessible par son smartphone, Isabelle a pu montrer concrètement comment cela se passe à son hôte.

Ah, tu pèses, toi ?

Ça j’insiste ! Le matériel que tout éleveur doit avoir: la bascule.

Pourquoi? Pour peser, pour savoir de quoi on parle. Quand on dit la vache fait à peu près 800 kg, s’il y a 50 kg d’erreur, c’est 50 fois autant d’euros.

Isabelle bascule

La première année, la bascule était rangée devant l’étable et faisait déjà son effet. Les acheteurs me disaient “ah, tu pèses?”. Cela change tout de suite la donne. La bascule offre à l’éleveur un moyen de négociation du prix de vente de ses animaux en connaissance de cause, en connaissance objective du poids d’une bête et non uniquement en se fiant à l’œil et l’évaluation de l’acheteur. La balance permet également de suivre l’évolution du poids des animaux. Connaitre leur poids permet enfin de doser précisément les médicaments administrés en cas de nécessité.

La transition chez Isabelle

La préservation des prairies permanentes et de leur biodiversité est au cœur des valeurs d’Isabelle et de la réflexion de son système. Après bientôt 30 ans d’installation, Isabelle aspire à une période de stabilisation. Tout en préservant le système en place et le sens qu’elle lui donne, Isabelle a pour objectifs d’alléger son travail d’astreinte tout en maintenant et renforçant ses revenus.

Au regard de ces éléments, l’objectif pour son plan d’action est de diminuer le nombre de vêlages et d’engraisser des animaux, en commençant par des génisses.

Pour la phase d’engraissement des animaux, une modification de l’alimentation est proposée.

  • Actuellement, les animaux sont engraissés en ration sèche, composée d’un concentré du commerce (8 à 9 kg/vache) complémenté par du foin de fauche tardive (à volonté).
  • La proposition du plan d’action est de changer cette ration, par un mélange de céréales et de préfané. Le préfané est issu de la fauche de prairies au stade de l’épi à 10 cm, soit un stade plus précoce améliorant sa valeur alimentaire, et conservé par voir humide.

Arrêter la fauche tardive chez Isabelle ? Là n’est pas la question.

L’objectif est de récolter ce qui est nécessaire aux besoins des animaux en engraissement, et de conserver le reste en fauche tardive.

Ses besoins en préfané ? Pour engraisser 10 animaux ingérant 9 kg de préfané par jour durant 5 mois, elle a besoin de 13 500 kg de matière sèche (10 x 9 x 5 x 30).

Le rendement estimé d’une prairie dans ce contexte est de 2 500 kg/ha pour la première coupe.

13 500 [kg] / 2 500 [kg/ha] = 5,5 ha

=> La première coupe devra être précoce (début mai) sur environ 5,5 ha, ce qui représente une petite partie de son parcellaire (8 %). Le reste pourra rester en fauche tardive pour les animaux à plus faibles besoins.

L'intérêt du préfané est de récolter un fourrage plus riche en protéine. Cette protéine ne devra donc plus être apportée par le concentré du commerce. Un mélange plus simple, par exemple composé de triticale avoine pois, conviendra et se cultive dans la région. Une autonomie régionale est dès lors envisageable en s’approvisionnant auprès d’un agriculteur local.

La problématique de la mise en réseau se pose alors. Des plateformes en ligne existent pour créer du lien et favoriser les échanges entre agriculteurs, telles que www.fermewallonne.be, le groupe Facebook « Vent’Agri occasion » ou encore www.agri-web.be. Les petites annonces dans la presse agricole et locale peuvent également porter leurs fruits.

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