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La récolte de l'herbe, un piège pour les insectes et la faune sauvage ?

Une ferme wallonne sur deux élève des ruminants et est ainsi fortement liée à la présence de prairies qui représentent près de la moitié de la surface agricole utile de notre région. Grâce au maintien d’éléments paysagers - tels que des arbres isolés, haies, marres, vergers - et à la présence de milieux pérennes diversifiés, les zones d’élevage sont souvent bénéfiques pour la faune sauvage et la biodiversité.

Cependant, la récolte des fourrages peut être destructrice pour cette faune, et cela s’accentue par l’avènement de matériel toujours plus large et plus rapide. De nombreux nids et poussins sont fauchés, certains animaux comme le lièvre ou le faon se blottissent à l’approche des machines et sont bien souvent en incapacité d’échapper au danger. Les arthropodes sont également fortement impactés par la fauche et les opérations qui suivent (conditionnement de l’herbe, fanage, andainage et pressage ou ramassage). Dans l’ensemble, peu d’animaux survivent aux techniques de récolte employées aujourd’hui. Toutefois, toutes les pratiques n’ont pas le même impact et il existe des solutions simples pour limiter les dégâts.

Limiter les dégâts sur l'entomofaune

L’entomofaune correspond à l’ensemble des insectes vivant dans un milieu. Elle est essentielle au fonctionnent des chaînes trophiques : elle contribue notamment à la pollinisation et à la décomposition et au recyclage des matières organiques et donc à la fertilité de la prairie.

Voici trois pratiques qui limitent les dégâts occasionnés à ces insectes.

RENONCER AU CONDITIONNEUR

En Belgique, une faucheuse sur 4, vendue entre 2017 et 2022, était équipée d’un conditionneur. Il s’agit de doigts ou de fléaux en rotation qui brisent la cuticule cireuse des plantes afin de faciliter la perte d’humidité et ainsi accélérer le séchage du fourrage.

Conditionneur

Des études suisses ont chiffré le taux de survie finale - c’est-à-dire après toutes les opérations de la récolte - des orthoptères (criquets et sauterelles) selon le processus de récolte :  pour un chantier avec une faucheuses sans conditionneur, il est de 32% contre 18% pour les chantiers sans conditionnement. Le taux de survie est donc pratiquement doublé en l’absence de conditionneur (Humbert et al., 2010). Au-delà de l’impact sur les insectes, cet équipement présente des limites :

  • Il augmente les pertes de nutriments et la reprise d’humidité en cas d’aléa climatique. Les frottements, cassures et écrasements causés par le conditionnement augmentent la surface d’échange du fourrage et par conséquent, le risque de lessivage de nutriments en cas de pluie ou de rosée abondante.
  • Il augmente les coûts. Une faucheuse équipée d’un conditionneur coûte plus cher à l’achat (+20%), est plus gourmande en puissance et en énergie (+3L/h) : cela représente un surcout de 15% (+5,3€/ha).
  • Il augmente les pertes mécaniques. En 2015, le CRA-W a mesuré les pertes en matière sèche lors de la récolte de fourrages riches en luzerne selon le type de matériel. Un chantier de récolte sans conditionnement entrainait 2,2% de perte de contre 4,1 à 8,7 % pour des chantiers avec conditionnement.

Compte tenu de ces limites d’utilisation et de l’impact sur les insectes, l’utilisation d’un conditionneur est rarement justifiée. D’autant plus que son principal avantage (séchage plus rapide) est valable lors de courtes fenêtre climatiques favorables à la récolte : cas qui se présente plus rarement qu’auparavant. Les constructeurs constatent d’ailleurs une baisse des ventes de cet équipement depuis quelques années.

Lorsque qu’il n’est pas possible de renoncer au conditionnement (car seul matériel disponible ou très courte fenêtre météo favorable), la mise en place de zones refuges sera d’autant plus utile pour limiter les dégâts.

RÉDUIRE LE NOMBRE DE PASSAGE DE MACHINES QUAND C’EST POSSIBLE

La fauche n’est pas la seule opération responsable de la mortalité des insectes. Les travaux de fanage, andainage et pressage entrainent chacun des taux de mortalité aussi élevés que la fauche (figure 1) et le simple passage des roues du tracteur participe aux effets négatifs de ces opérations.

Il est donc recommandé de limiter au minimum nécessaire le nombre de passage par coupe et par année. Cela revient à renoncer au fanage quand c’est possible (en fonction du type de fourrage concerné et des conditions météorologiques) et à faucher moins souvent, donc plus tardivement. La surface que l’on peut se permettre de faucher tardivement dépendra des besoins des animaux pour lesquels le fourrages est destiné. A ce sujet, on observe en Ardenne une tendance des éleveurs allaitants à faucher en même temps que les éleveurs laitiers. Cette pratique pourrait se justifier sur une partie de la surface, dans un objectif d’autonomie alimentaire pour des animaux en engraissement, mais certainement pas sur la totalité.

Taux de survie des orthoptères après différentes étapes de la récolte et à la fin de celle-ci
Fig. 1: Taux de survie des orthoptères au cours des différentes étapes de la récolte d’une prairie extensive. Source : (Humbert et al., 2010)

A noter : faucher précocement impacte aussi les insectes.

On pourrait penser que faucher précocement, début mai, impacte peu les insectes car ils sont encore peu visibles à cette période de l’année. Cependant, leurs larves, déjà présentes, sont aussi endommagées par le passage des machines de récolte. Une fauche précoce ne les épargne donc pas. En revanche, après septembre, leur présence est nettement moindre ; l’impact d’une récolte est réduit. Le graphique ci-dessous représente l’évolution de la densité d’orthoptères au stade larvaire et adulte, dans des prairies extensives du nord de la Suisse.

Densité d’orthoptères en 2009 dans les prairies à litière avec erreur-type (deux surfaces dans la région du Greifensee et deux dans celle de Schmerikon).
Fig. 2: Densité d'orthoptères en 2009 dans les prairies à litière avec erreur-type (deux surfaces dans la région du Greifensee et deux dans celle de Schmerikon)

MAINTENIR DES ZONES REFUGE

L’efficacité des zones de refuge pour la préservation des insectes est largement reconnue. En effet, une étude a montré qu’après l’ensemble des opérations de la récolte des fourrages, les populations d’orthoptères (famille particulièrement sensible à la fauche) étaient 50 fois plus élevée dans les prairies disposant d’une zone refuge (environ 10% de la surface) que dans les prairies entièrement fauchée (Humbert et al., 2010). Pour ces raisons, les « prairies naturelles » et prairies hautes valeur biologique imposent le maintien d’une zone refuge lors de la fauche.

Idéalement, la distance séparant les refuges ne doit pas être supérieure à 30 mètres. Au-delà, la majorité des orthoptères ne trouve pas ces zones entre les différentes étapes de la récolte. Pour gagner en efficacité, il est aussi recommandé de faucher vers les refuges pour guider les insectes mobiles dans la bonne direction.

Impact sur le tempsImpact économiqueRemarques
Renoncer au conditionneur😐🙂Renoncer au conditionneur = économie de 5,3€/ha (2023).
Réduire le nombre de passage de machines🙂 🙂 Mesures compensatoires prévue pour la fauche tardive.
Maintenir des zones refuge🙂 😐🙁Mesures compensatoires prévues.

Limiter l'impact sur la faune sauvage

Allouette des champs
L'alouette des champs : un oiseau nicheur au sol vulnérable aux travaux de fauche (© Mike Powles FLPA)

La faune sauvage qui vit en prairie est principalement composée d’oiseaux (alouette des champs, perdix grise, caille des blés, bruant proyer, étourneau sansonnet, chouette chevêche, etc.) et de mammifères (lièvre d’Europe, faons de chevreuils). Ces espèces méritent d’être épargnées des faucheuses, soit parce que leur population est en déclin - c’est surtout le cas pour les oiseaux nicheurs au sol - soit pour des raisons éthiques ou sanitaires. En effet, la remontée d’un cadavre de faon dans les ensilages expose le bétail au botulisme, une maladie neurologique mortelle. Voici huit pratiques qui limitent les dégâts occasionnés à la faune sauvage.

ADAPTER SON CALENDRIER DE FAUCHE

La date de fauche est l’élément qui influe le plus sur le nombre d’animaux tués. Plus la fauche est tardive, meilleures sont les chances de survie pour la progéniture. Une première coupe réalisée après la mi-juin permet de limiter l’impact sur la faune. Cependant, cette pratique a pour inconvénient de réduire la valeur alimentaire du fourrage, qui devra être distribué à des animaux à plus faible besoins (vaches gestantes, par exemple). Un soutien de 220€/ha (  ; Prairies naturelles MB2) est d’ailleurs prévu pour compenser cette contrainte.

A noter toutefois pour le chevreuil qu’une première fauche précoce, vers fin avril, entraînera des pertes minimes vu que le pic des naissances a lieu vers le 20 mai. Prévoir un plus grand intervalle de temps entre la première et la deuxième fauche est un autre levier qui diminue le taux de mortalité, en particulier des oiseaux nicheurs au sol.

REPÉRER ET EFFAROUCHER

Des mesures préventives se révèleront efficaces à condition de reposer sur une bonne collaboration entre les acteurs concernés. Ainsi, un avertissement de la date de fauche par l’agriculteur permettra aux chasseurs et aux protecteurs de la nature d’effaroucher les animaux la veille du jour de la fauche. La recherche préalable des levrauts, faons et nids d’oiseaux peut aussi se montrer une mesure très efficace. Elle s’effectue en « ratissant » la prairie par battue humaine, avec ou sans chien. Les jeunes animaux n’ayant généralement que peu d’odeur corporelle, de très bons chiens sont nécessaires pour les repérer.

Faon de chevreuil
Faon de chevreuil (crédit photo: Sauvons Bambi)

La recherche des animaux est également possible via des méthodes plus évoluées. Citons la détection par drone équipé d’une caméra thermique, à privilégier pour les surfaces présentant un risque élevé de rencontrer des animaux : réserve naturelle ou parcelles réputées accueillante pour la faune sauvage. Ce service de détection est proposé gratuitement l’ASBL Sauvons Bambi en Belgique et au Luxembourg (www.sauvonsbambi.be). Une autre technique de détection, applicable à plus grande échelle, a été développée par le constructeur de faucheuse Pöttinger. Il s’agit d’une barre munie de capteurs optiques à infrarouge fixée directement devant la faucheuse. En cas de détection, le système hydraulique relève automatiquement la faucheuse pour protéger l’animal blottit au sol. Il existe deux contraintes à cette technologie : la vitesse du chantier ne doit pas dépasser 10km/h et le coût de l’investissement se situe autour de 8.000€.

MAINTENIR DES ZONES REFUGE

Comme pour les insectes, le maintien d’une zone refuge est également efficace pour les animaux mobiles.  Il est recommandé de placer cette zone refuge de façon à les diriger vers la zone en fauchant.

UTILISER UNE BARRE D’EFFAROUCHEMENT MÉCANIQUE

La barre d’effarouchement est un outil destiné à faire fuir les animaux à l’approche des machines. Les barres à peignes, principalement utilisées dans les prairies et les luzernes ratissent la végétation et force ainsi les animaux à quitter la parcelle. Les barres à chaîne ou à fléaux sont d’avantage utilisées pour la destruction des couverts d’interculture et les zones plus denses. Le bruit et le mouvement des chaînes effarouchent les animaux pour qu’ils quittent la parcelle.  La barre d’effarouchement comporte un système de repliage hydraulique ou manuel. Elle est décalée latéralement par rapport à l’axe de la faucheuse attelée à l’arrière. Elle doit être utilisée à faible vitesse (maximum 10-12 km/h). Selon les prototypes, son prix varie entre 1.500 et 5.000 € mais une fabrication personnelle est possible pour les bons bricoleurs. Lorsque le chauffeur constate l’envol d’un oiseau, il doit immédiatement stopper sa machine et s’assurer de l’absence de nid abritant des œufs ou des juvéniles.

Barre d'envol
Barres d’effarouchement pour préserver la faune (crédit photo Fédération des Chasseurs d'Occitanie)

RÉDUIRE LA VITESSE DE TRAVAIL ET RESTER ATTENTIF AUX MOUVEMENTS DES ANIMAUX

Une vitesse d’avancement limitée à 15 km/h facilitera l’envol d’un oiseau ou la fuite d’un Une vitesse d’avancement limitée à 15 km/h facilitera l’envol d’un oiseau ou la fuite d’un mammifère. Cette vitesse sera encore réduite à 5-10 km/h lors de la fauche de la dernière bande qui constitue l’ultime refuge des animaux. Idéalement, le chauffeur s’arrêtera lorsqu’il constate l’envol d’un oiseau ou la fuite d’un chevreuil pour s’assurer de l’absence d’un nid ou d’un faon.

NE PAS TRAVAILLER DE NUIT

Les espèces diurnes (perdrix, faisans, …) sont particulièrement vulnérables aux travaux réalisés durant la nuit. Il est donc préférable de faucher en journée.

ADAPTER L’ITINÉRAIRE DE FAUCHE

L’itinéraire de fauche peut être adapté pour laisser une échappatoire aux animaux présents sur la parcelle. Si une zone refuge est existante, la fauche devra débuter du côté opposé pour encourager la fuite du gibier dans la direction souhaitée. Une autre possibilité est de suivre un circuit de récolte centrifuge, c'est-à-dire débuter l’intervention par le centre de la parcelle pour permettre une fuite vers l’extérieur. Dans le même ordre d’idée, il est déconseillé de faucher à deux tracteurs dans une même parcelle car cela désoriente les animaux et augmente les sources de dangers.

itinéraire de fauche
itinéraire de fauche

Faucher haut

Adopter une hauteur de coupe d’environ 10 cm permet d’augmenter les chances de survie des amphibiens et des reptiles. Cette mesure va dans le sens des recommandations agronomiques qui préconisent de faucher à 8 cm, donc pas trop bas.  Outre la préservation des animaux cités, cette pratique a de nombreux avantages (Fourrages Mieux, 2012) :

  • Elle accélère le séchage car le fourrage est déposé sur les chaumes ;
  • Elle diminue le risque de souillure par des restes de matières organiques ou de terre ;
  • Elle permet de récolter la partie de la plante la plus riche en énergie et protéine ;
  • Elle favorise une repousse rapide et pérennise la prairie car le plateau de tallage n’est pas endommagé.
  • Elle laisse en place une biomasse qui protège le sol du dessèchement et qui limite l’apport de lumière au sol qui pourrait faire germer des adventices
En résumé : précautions pour limiter les dégâts sur la faune sauvage
Impact sur le tempsImpact économiqueRemarques
Adapter son calendrier de fauche😐😐 Mesures compensatoires prévues pour la fauche tardive.
Repérer et effaroucher🙁 🙁 😐 🙁
Maintenir des zones refuge🙂😐 🙁
Utiliser une barre d’effarouchement mécanique😐 🙁 Barres d’effarouchement : 1.100 à 5.000 €.
Réduire la vitesse de travail et rester attentif aux mouvements des animaux🙁 🙁
Ne pas travailler de nuit😐 😐
Adapter l’itinéraire de fauche😐 😐
Faucher haut😐 😐 Concerne les amphibiens et reptiles.

Conclusion

La plupart du temps, la fenaison coïncide avec les périodes à risque pour les insectes et la faune sauvage. En effet, la nidification des oiseaux nicheurs au sol ou les mises bas s’étalent d’avril jusque juillet. Attendre la fin juillet pour récolter la première coupe n’est pas envisageable pour la majorité des agriculteurs. Une fauche aussi tardive réduit fortement la qualité du fourrage récolté et le rendement potentiel.

Production fourragère ou préservation de la biodiversité ? Un compromis s’impose, et des compensations financières existent (prairies MB2, prairies MC4).

RESSOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
  • Guitton, J.-S., Drouyer, F., Marquet, F., Omnès, F., 2017. Comment réduire l’impact de la fauche mécanique des prairies sur le petit gibier de plaine ? Faune sauvage 6.
  • Hecker, L.P., Wätzold, F., Yang, X., Birkhofer, K., 2022. Squeeze it or leave it? An ecological-economic assessment of the impact of mower conditioners on arthropod populations in grassland. J Insect Conserv 26, 463–475. https://doi.org/10.1007/s10841-022-00392-5
  • Humbert, J.-Y., Richner, N., Sauter, J., Walter, T., 2010. Effet sur la faune des processus de récolte (No. 574). ART.
  • Uijttewaal, Anthony & Chapuis, Stéphane & Crocq, Gilles & Lépée, Pierre. (2016). Quoi de neuf en matière de récolte et conservation des légumineuses fourragères ?. Fourrages. 227. 157.
  • Widar, J., 2018. Comment préserver la faune sauvage lors de la fauche des prairies ?
  • Fourrages Mieux, 2012. Influence de la hauteur de fauche

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